Zéropolis
Zéropolis
L'Expérience de Las Vegas
Bruce Bégout
Ré-éd, Allia 2007
Dans cette manière de représentation mobile du désert urbain que
constituent les piles de livres de vos libraires, il arrive que se
glisse discrètement trop discrètement, une perle rare et précieuse.
Zéropolis, mince essai relevant tout à la fois de la philo, de la socio
et du road-movie littéraire, propose une dérive mentale et sensitive
autour de la ville de tous les simulacres, Las Vegas. Au fond, c’est un
peu comme si le Descartes des Méditations métaphysiques,
après avoir lu Hunter S. Thompson ou Nick Tosches, avait décidé de
louer un pick-up pour aller ausculter la ville-champignon par lui-même,
soupçonnant que celle-ci devait être l’archétype de la cité occidentale
et par la même occasion, des utopies bâtardes nées sur les tas de
neurones cramés des sixties et du psychédélisme.
Décryptant le
show non-stop (Vegas ne dort jamais), Bruce Bégout traque donc les
principes moteurs de la fun-culture des années 00. Voyant au travers de
cette déréalisation permanente, tout à la fois un reflet de la place
centrale qu’accorde l’occident au ludisme et à son pendant obscure, la
sécurité (systèmes de surveillance omniscients, Gated communities…).
Pour autant, Bruce Bégout, phénoménologue averti, n’oublie jamais
d’ancrer sa réflexion dans une expérience. D’être partie prenante et
d’évoquer l’envoûtement vegassien, c’est-à-dire ce moment inévitable où
le jugement se suspend, court-circuité, happé dans une partie de
flipper géante, au cours de laquelle le voyageur-philosophe est
transformé en bille folle allant heurter de façon chaotique enseignes
lumineuses et multicolores du Strip, comme autant de vignettes.
Autrement dit, outre sa merveilleuse «transversalité», l’auteur a cet
extrême bon goût de ne jamais perdre de vue qu’on ne juge pas une
pareille ville, on se la prend d’abord dans la gueule. D’où l’intérêt
total, intellectuel et littéraire, de cet opus. --Stéphane Malterre
Las Vegas n'est rien d'autre que notre horizon urbain. Ce qui s'est mis
en place au coeur du désert de Mojave, la surpuissance de l'entertainment
qui dicte le cours de la vie, l'organisation de la ville en fonction
des galeries marchandes et des parcs d'attractions, l'animation
permanente qui règne jour et nuit dans les rues et les allées
couvertes, l'architecture thématique qui mélange séduction commerciale
et imaginaire enfantin, la soumission suave des citadins par un opium
spectaculaire et télévisuel, nous connaissons déjà tout cela et allons
être amenés à le vivre de manière plus habituelle encore. Nous sommes
tous des habitants de Las Vegas, à quelque distance que nous nous
trouvions du sud du Nevada.