De la gare au square
C'étaient des bonnes à tout faire, les milliers de Bretonnes qui
débarquaient dans les gares de Paris. C'étaient aussi les colporteurs
des petits marchés de campagne, les vendeurs de fils et d'aiguilles, et
tous les autres. Ceux - des millions - qui n'avaient rien qu'une
identité de mort. Le seul souci de ces gens c'était leur survie : ne
pas mourir de faim, essayer chaque soir de dormir sous un toit. C'était
aussi de temps en temps, au hasard d'une rencontre, PARLER. Parler du
malheur qui leur était commun et de leurs difficultés personnelles.
Cela se trouvait arriver dans les squares, l'été, dans les trains, dans
ces cafés des places de marché pleins de monde où il y a toujours de la
musique. Sans quoi, disaient ces gens, ils n'auraient pas pu survivre à
leur solitude.
Le square
Marguerite Duras
Gallimard 1955