Vigilance mentale
Insécurité dans les espaces publics :
comprendre les peurs féminines
Stéphanie Condon, Marylène Lieber, Florence Maillochon
En combinant analyses quantitative et qualitative (données de l’Enquête nationale sur les
violences envers les femmes d’une part, entretiens approfondis ad hoc d’autre part), cet article
explore les relations entre sentiment d’insécurité, expérience de victimation et mobilité des
femmes dans les espaces publics, questions généralement évoquées deux à deux. Si les
femmes sont relativement peu nombreuses à déclarer spontanément leurs peurs de sortir seule,
l’étude de leurs pratiques effectives et du contenu de leurs discours permet de nuancer un tel
constat. En effet, bon nombre de femmes ne sont pas confrontées à la question de sortir seule
le soir, notamment celles qui vivent en couple ou celles qui, par la division sexuelle du travail,
manquent de temps libre. De plus, l’analyse des pratiques de celles qui sortent seules laisse
penser que leurs déplacements nocturnes font l’objet d’une vaste mise en condition : il existe
une véritable vigilance mentale qui se révèle au travers de nombreuses et incontournables
tactiques d’évitement et que renforce encore l’expérience de victimation. Les agressions
subies dans les espaces publics ne semblent pas entraver la mobilité des femmes. Toutefois, les
violences, mêmes les plus anodines en apparence, limitent leur liberté en portant une menace
qui pèse, au-delà du moment où elles se produisent, et accroissent les sentiments de crainte
que de nombreuses femmes disent éprouver à l’égard de l’extérieur.
• Un sentiment d’insécurité à part : les peurs féminines
— Rapports sociaux de sexe, violences et peurs : le cadre d’une analyse
— La mesure d’un sentiment : lier les peurs aux pratiques
— Les peurs ne limiteraient pas la mobilité des femmes ?
• L’effet contraignant des peurs sur la mobilité des femmes
— Quand la question des sorties est réglée en amont : les structures
d’organisation du travail, de la famille et les peurs
— Les circonstances des peurs et leurs conséquences sur l’organisation des
sorties
— Sortir la peur au ventre ou les difficultés d’avouer sa peur
— Une vigilance constante révélée par des tactiques d’évitement
• Violences subies et violences anticipées : du fondement des peurs
— Le décalage entre les violences effectives dans les espaces publics et leurs
représentations
— Les effets des différentes violences vécues au cours de l’année sur les peurs et
stratégies dans les espaces publics
— Quand des faits « anodins » se font menaces
Revue française de sociologie
Volume 46 –2005/2-Page 265 à 294