Enchantement et désenchantement
Benjamin, passager de Paris
Au cours du bref séjour qu'il effectue
à Paris en 1913, Walter Benjamin, saisi par
un sentiment d'harmonie avec le paysage urbain,
découvre l'art de la flânerie.
"...
Que découvre-t-il, notamment grâce à son
ami Franz Hessel qui devient son guide en flânerie ?
L'art de s'égarer dans le paysage urbain... Celui-ci
acquiert alors quelque chose de bizarre et mobilise,
éveille, aiguise l'observation. A qui s'égare,
les signes de la ville, ses rues, ses immeubles, ses
passants, demeurent parfaitement lisibles tout en se faisant
mystérieux. Ce qui permet de développer des
défenses contre les dangers et les terreurs. Celui
qui s'est formé à l'art de s'égarer, se
vaccine, au fond, contre deux comportements extrêmes :
l'apologie de la cité tentaculaire, pour reprendre
une image de Verhaeren, ou son rejet anachronique...
...il se propose
de mettre au jour la place de la "fantasmagorie" dans les
processus culturels à l'époque du capitalisme
industriel. Dans la notion de "fantasmagorie", qu'il tire
des études de Marx sur le fétichisme de la
marchandise, il voit l'effet magique dont finissent par
être recouverts les rapports économiques et
sociaux. Il faut lever ce voile et regarder. Pour constater
quoi ? Que les "passages", par exemple, sont nés de
faits économiques irréfutables qui ont
commandé leur mode de construction et leur fonction :
l'utilisation d'une nouvelle architecture métallique
et l'expansion du commerce des textiles.
Mais si la "fantasmagorie" en action produit un
"enchantement", le "désenchantement" est susceptible
également d'avoir lieu, et Paris le montre bien :
"Cet éclat cependant, écrit Benjamin, et cette
splendeur dont s'entoure la société
productrice de marchandises, et le sentiment illusoire de sa
sécurité ne sont pas à l'abri des
menaces; l'écroulement du Second Empire et la Commune
de Paris le lui remettent en mémoire. "
...Ville dans
laquelle un capitalisme chargé de rêve a pu se
développer, ville de fantasmagories où la
réalité s'affuble des atours de
l'opérette d'Offenbach. Et puis ville
d'insurrections, celles de 1789, de 1830, de 1848,
de 1871,
qui forment une longue chaîne de ruptures avec
l'illusion..."
Par Gudrun Klat
Magazine littéraire n° 273 /Janvier 1990
A propos de Paris capitale du XIXe siècle, le Livre des Passages
Walter Benjamin. Traduit par Jean Lacoste. Ed. du Cerf
In magazine littéraire n° 273 - Janvier
1990