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4 septembre 2007

Hands off !

ToucherToucher
Christian Bromberger
Terrain, Numéro 49-Toucher-août 2007
« Prière de toucher », telle est la légende qu’a placée Marcel Duchamp en bas d’une de ses œuvres représentant un sein féminin en relief. Ce faisant, il invitait facétieusement les visiteurs à transgresser un double tabou : celui qui pèse sur certains gestes érotiques dans les espaces publics, celui qui encadre les comportements au musée, où l’« on est prié de ne pas toucher », gardiens et alarmes le rappelant si nécessaire. « Hands off ! », dit plus lapidairement l’anglais. Cet interdit n’est pourtant pas consubstantiel à l’idée de musée. Dans les cabinets de curiosités des xviie et xviiie siècles, comme dans nombre de musées jusqu’au milieu du xixe siècle, la manipulation était le complément obligé de la découverte visuelle. Ne pas toucher les objets lors d’une visite, c’était un peu comme si, invité par quelqu’un à dîner, vous n’aviez pas touché à la nourriture servie, commente joliment Constance Classen (2005 : 275) dans un essai où elle rappelle, exemples à l’appui, la « tactile accessibility of early museums » (Classen 2005 : 276). Il apparaissait d’ailleurs inconcevable, et le philosophe Johann Gottfried Herder le proclamait avec force, que l’on pût apprécier la beauté d’une statue sans l’avoir touchée.


L’interdit contemporain ne traduit donc pas seulement un souci légitime de préservation de chefs-d’œuvre ou de trésors, mais aussi une dévalorisation croissante de la tactilité dans l’appréhension du monde, au fil de ce que Norbert Elias (1994) a appelé « le processus de civilisation » : manger avec ses doigts, se gratter, taper sur l’épaule d’un camarade, tâter la marchandise… apparaissent comme des gestes d’un autre âge, qui ont échappé à la discipline et à la bienséance tactiles qui se sont imposées. Le toucher a désormais mauvaise presse : il connote le comportement enfantin, l’arriération, la rusticité, la vulgarité, voire le vandalisme ; associé à la sexualité, il peut prêter au soupçon de mauvaises intentions (la caresse sur la joue d’un enfant). Au musée, comme dans la vie sociale, les sens nobles de la vue et de l’audition ont relégué le toucher au rang des archaïsmes suspects, réservés à l’intimité. Suite...

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